Laudation de la Présidente von der Leyen sur le mouvement iranien «Femmes, vie, liberté» lors du M100 Media Award 2023

Laudation de la Présidente lors du M100 Media Award 2023

Monsieur le Maire,

Mesdames et Messieurs,

C'était il y a tout juste un an. Le 16 septembre 2022, une jeune femme est décédée dans un hôpital iranien. Ses amis l'appelaient Mahsa. Pour sa famille, a la maison, elle était Jina. C'était ce nom que criait sa mere lorsqu'elle pleurait sur sa tombe. Jina, un beau nom kurde. Il signifie «vie». Mahsa «Jina» Amini avait 21 ans lorsqu'elle a été tuée par la police des mours iranienne. Deux jours plus tôt, on l'avait arretée parce qu'elle montrait trop de cheveux. Déja dans la voiture de police, elle avait été battue. Lors de sa garde a vue, elle est tombée dans le coma. Jina ne s'est jamais réveillée. Mais des millions de ses compatriotes se sont soulevés a sa place. Et ils continuent. Ils risquent la prison, l'exil ou meme la mort. Ils se soulevent pour les «femmes, la vie et la liberté».

C'est pour cela nous sommes aujourd'hui ici a Potsdam. Pour honorer la vie de Jina. Et pour rendre hommage aux innombrables Iraniennes et Iraniens, qui risquent chaque jour leur vie pour la justice, l'égalité et la démocratie. Nous décernons a toutes ces héroines et a tous ces héros qui scandent « Life, Woman, Freedom » le prix M100, parce que nous soutenons de tout notre cour leur combat pour les libertés fondamentales.

Qu'est-ce qui rend ces manifestations et ce moment si importants? A vrai dire, nous ne savons pas encore a quoi ce mouvement va aboutir. Son histoire continue de s'écrire pendant que nous en parlons ici aujourd'hui. Mais nous pouvons des aujourd'hui dire avec certitude qu'il se passe en Iran quelque chose d'historique. Pour la premiere fois, les femmes en Iran sont a la fois le détonateur et le moteur d'une révolution. Et je m'incline devant le courage des femmes iraniennes, qui marchent meme en tete devant les hommes dans les manifestations. Je suis extremement impressionnée par le culot des jeunes filles, des adolescentes, qui brulent dans la rue le voile qui leur est imposé. Qui mettent en péril leur jeune vie parce qu'elles aspirent a la liberté et a une vie meilleure. Il ne s'agit pas seulement d'un tournant pour des centaines de milliers de femmes et de filles de ce pays. C'est un changement plus profond dans le pays. Parce que les femmes prennent les renes. Elles combattent pour leur liberté personnelle et, en meme temps, pour un Iran plus ouvert et plus libre.

Lorsque la République islamique d'Iran a été fondée en 1979, j'avais 21 ans. Le meme âge que Jina lorsqu'elle a été tuée. J'ai grandi en Europe. Dans une société qui n'était pas parfaite. Mais dans laquelle je pouvais m'épanouir. Je pouvais exiger des droits égaux en tant que femme sans avoir a craindre une quelconque violence étatique. J'ai grandi dans une démocratie ouverte, dans laquelle mes droits fondamentaux sont protégés par l'état de droit. Dans la théocratie iranienne, des millions de femmes vivent en permanence dans la crainte et la répression. Elles se sentent comme des citoyennes de deuxieme rang. Peu d'entre elles sont autorisées a travailler.

On leur dicte comment s'habiller, comment se comporter, et on les incite a rester autant que possible a la maison. Khomeini, le fondateur de la République islamique, disait du voile qu'il était le «drapeau de la révolution». Et voila que l'année derniere, les Iraniennes ont émis un signal qu'il est impossible de ne pas voir: elles menent leur propre révolution, celle des femmes. Elles se battent pour pouvoir retirer le voile de l'oppression. Elles se battent pour le droit d'avoir un visage et une voix dans leur pays.

Cela m'amene a mon deuxieme point. Si ce moment est si important, c'est aussi parce que ces femmes se battent en meme temps pour les libertés fondamentales de l'ensemble des Iraniennes et des Iraniens. Des le départ, elles voulaient davantage que simplement montrer leurs cheveux. Ou pratiquer le sport de leur choix, pouvoir travailler de maniere indépendante, aimer sans devoir demander l'autorisation de personne. Ces femmes réclament la liberté de vivre sans peur ni violence – pour elles et pour l'ensemble des autres citoyennes et citoyens d'Iran. Voila pourquoi des millions d'hommes et de femmes, jeunes et vieux, soutiennent ces manifestations. Et cela ébranle le régime jusqu'a la moelle.

La théocratie iranienne a réagi avec une violence brutale a cet appel a l'ouverture. Depuis septembre de l'année derniere, le régime a emprisonné plus de 20 000 manifestants pacifiques. Plus de 500 ont été tués par les forces de sécurité. Plus de 100 prévenus risquent entre-temps l'exécution capitale. Leur prétendu «crime» est le reve d'un avenir meilleur.

Pourtant, malgré cette violence étatique, les Iraniennes et les Iraniens résistent. Au mois de juillet, le proces engagé contre l'une des principales détenues politiques du pays a du etre ajourné. L'accusée, l'activiste Sepideh Gholian, avait refusé de porter le voile devant le tribunal.

Dans la ville de Rasht, des passants courageux se sont interposés lorsque la police a voulu arreter trois filles pour violation du code vestimentaire. Cela montre que le mouvement «Femme, Vie, Liberté» a déja changé l'Iran. Aucun retour en arriere n'est possible.

Quelle peut etre notre contribution, a nous qui sommes a l'abri en Europe? Nous avons le devoir de rendre hommage a la mémoire de Jina et de tous les innocents, femmes et hommes, que le régime a tués. Je suis tres heureuse de vous voir tous réunis ici ce soir, précisément dans ce but. Mais nous devons également joindre le geste a la parole. Nous devons obliger ceux qui violent les droits fondamentaux les plus élémentaires a répondre de leurs actes. L'Union européenne et ses États membres ont adopté des sanctions contre 204 personnes et 34 entités responsables du brutal écrasement de manifestations pacifiques. Nous avons gelé leurs avoirs, nous leur avons interdit d'entrer dans l'Union européenne. Nous avons interdit toutes les exportations de technologies qui pourraient servir a surveiller et a opprimer le peuple iranien. Et bien plus encore. Nous ne relâcherons pas la pression avant que le régime iranien cesse de réagir avec violence aux manifestations pacifiques, mette un terme aux arrestations arbitraires, leve les condamnations a mort et libere tous ceux qui ont été emprisonnés injustement.

Les droits humains doivent etre respectés partout. C'est écrit dans l'acte fondateur des Nations unies. La ou des crimes graves sont commis, nous devons avoir les moyens d'agir. Le régime iranien ne malmene en effet pas uniquement son propre peuple. Il aide aussi la Russie a terroriser les gens en Ukraine. Les dirigeants iraniens ont décidé de soutenir la guerre d'agression de la Russie. Ils livrent des drones kamikazes a Poutine, qui ne sont pas utilisés uniquement contre des cibles militaires, mais aussi contre des innocents, des personnes âgées, des femmes et des enfants. La maniere dont l'Iran se positionne par rapport a la guerre de Poutine doit façonner – et façonnera effectivement - de façon déterminante les futures relations entre l'Union européenne et l'Iran. La position de l'Union est claire: nous défendons la démocratie. Nous défendons la charte des Nations unies. Et nous défendons ceux qui prennent fait et cause pour les droits humains, ou qu'ils se trouvent.

Le combat et le courage des femmes iraniennes ont des répercussions bien au-dela des frontieres du pays. Ils animent et inspirent les femmes dans le monde entier. Les défis auxquels celles-ci sont confrontées peuvent varier. Mais les droits qu'elles revendiquent sont les memes. Et pour commencer, le droit le plus fondamental de tous. Le droit, en tant que femme, d'etre a l'abri de la violence. La violence contre les femmes existe, dans le monde, et aussi chez nous, en Europe. Comment peut-on avoir les memes droits si on n'est pas en sécurité dans la rue, au travail, voire a la maison? Il n'est jamais justifié de frapper une femme. Il n'est jamais justifié de mutiler le corps d'une fille. «Non» veut toujours dire «Non». Nous mettons tout en ouvre pour que les femmes bénéficient de la meme protection partout en Europe.

Je suis fiere que l'Union européenne ait enfin adhéré cette année a la convention d'Istanbul. Et l'une des principales missions qu'il me reste a accomplir est, a mes yeux, l'adoption, encore cette année, de la premiere législation européenne sur la prévention et la lutte contre la violence a l'égard des femmes et la violence domestique. L'égalité des droits ne «vient» en effet pas toute seule. Les avancées sont durement gagnées et facilement perdues.

C'est vrai également dans les pays dans lesquels il n'existe pas de police des mours. La véritable égalité des droits exige une attention et un engagement quotidiens. Les femmes et les filles doivent etre libres d'aspirer a la fois a fonder une famille et a suivre une carriere. Cela doit etre aussi évident pour elles que pour les hommes et les garçons. Les femmes doivent etre rémunérées au meme niveau que leurs collegues masculins. Parce qu'elles l'ont mérité. Et les talents féminins doivent toujours avoir une chance d'atteindre les échelons les plus élevés. Parce qu'elles possedent le savoir et l'expérience nécessaires. Je pense qu'une société dans laquelle les femmes sont libres et égales en droits n'est pas seulement une société plus juste. C'est aussi une société plus prospere. Une société ou le talent est démultiplié, ou il y a davantage de capacités et de potentiel.

J'en suis convaincue: l'oppression brutale des femmes en Iran va s'avérer etre le talon d'Achille de la théocratie iranienne. Le régime iranien sera mis en échec par les femmes. Tout comme sont vouées a l'échec toutes les sociétés qui marginalisent la moitié de leur population.

Mesdames et Messieurs,

Mahsa «Jina» Amini aurait du entamer ses études durant la semaine qui a suivi son meurtre. Jina voulait devenir médecin. C'était son reve. Sauver la vie des gens. Au lieu de cela, le régime lui a ôté la vie. Mais le reve de Jina, ils ne peuvent pas l'anéantir. Le reve de femmes et de filles dans le monde entier, d'etre libres et de réaliser pleinement leur potentiel. J'ai pleinement confiance dans l'avenir de l'Iran parce que, chaque jour, ces personnes courageuses montrent l'exemple. Elles tracent la voie pour d'autres. Et je me réjouis que l'une de ces personnes exemplaires soit parmi nous aujourd'hui. Elle recevra le prix M100 au nom de tous les héros et de toutes les héroines de «Life, Woman, Freedom». Je vous invite a applaudir avec moi Shima Babaei.

Shima, vous luttez depuis 2017 pour la justice, la démocratie et les droits des femmes en Iran. Deux fois déja, le régime vous a mis en prison. On vous a placée en isolation. On vous a obligée a quitter votre foyer. Mais personne n'a réussi a vous faire taire. Vous etes un exemple. Pour les filles et les femmes partout dans le monde. Et si votre pere, Ebrahim Babaei, pouvait vous voir maintenant, vous seriez également un exemple pour lui. Un jour, le régime iranien devra expliquer ce qui est arrivé a votre pere. Nous découvrirons la vérité et les coupables devront rendre des comptes.

«Femmes, Vie, Liberté» constitue un tournant. Pour les femmes en Iran, pour la démocratie et la liberté dans votre pays, et pour les femmes ou qu'elles se trouvent. Vous avez montré au monde qu'il existe un autre Iran. Et nous voulons croire en cet Iran que vous représentez. Nous vous remercions pour votre courage. A nous maintenant de parler haut et clair et d'aider ainsi les valeureuses femmes iraniennes a mieux se faire entendre. Je ne cesserai jamais de m'opposer, a haute et intelligible voix, aux mollahs et aux ayatollahs. Faisons tous résonner notre voix pour que les valeureuses Iraniennes nous entendent. C'est cela que représente ce prix.

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